TROIS
CHANSONS
MORTES
I
Vous êtes belle: on vous adore.
Vous êtes jeune: on vous sourit.
Si un amour pourrait éclore
Dans ce cœur où rien ne luit,
Vous êtes jeune: on vous sourit.
Si un amour pourrait éclore
Dans ce cœur où rien ne luit,
Ce sourire de ma tristesse
Se tournerait, reflet lointain,
Vers l’or cendré de votre tresse,
Vers le blanc mat de votre main.
Se tournerait, reflet lointain,
Vers l’or cendré de votre tresse,
Vers le blanc mat de votre main.
Mais je n’en fais que ce sourire
Qui sommeille au fond de mes yeux —
Lac froid qui, en vous voyant rire,
S’oublie en un reflet joyeux.
Qui sommeille au fond de mes yeux —
Lac froid qui, en vous voyant rire,
S’oublie en un reflet joyeux.
II
J’eus un rêve. L’aube
N’a pu soulever
Du frais de sa robe
Mon sommeil léger.
N’a pu soulever
Du frais de sa robe
Mon sommeil léger.
En vain toute l’ombre
Jettait sa noirceur.
Mon cœur est plus sombre.
C’était dans mon coeur.
Jettait sa noirceur.
Mon cœur est plus sombre.
C’était dans mon coeur.
Il est mort. J’existe
Par ce qui m’en vint.
Quoi? J’en suis plus triste...
Ah, ce rêve éteint
Par ce qui m’en vint.
Quoi? J’en suis plus triste...
Ah, ce rêve éteint
Faisait l’heure brève
Et mon cœur moins las...
Quel était ce rêve?
Je ne le sais pas.
Et mon cœur moins las...
Quel était ce rêve?
Je ne le sais pas.
III
Si vous m’aimiez un peu?... Par rêve,
Un rien... L’amour que l’on achève
Non par amour...
Un rien... L’amour que l’on achève
Est lourd.
Faites de moi un qui vous aime,
Quand le rêve est beau, le jour meme
Pas qui je suis...
Quand le rêve est beau, le jour meme
Sourit.
Que je sois triste ou laid — c’est l’ombre...
Vous soit frais, je vous fais ce sombre
Pour que le jour
Vous soit frais, je vous fais ce sombre
Séjour.
FERNANDO PESSOA